Bicentenaire

2003 - Bicentenaire du canton de Vaud

Petit Rappel Historique pour remémorer les évènements de 1803 et surtout leur contexte qui les expliquent.

Préambule

200 ans !

Cela paraît bien lointain, du temps de nos arrière, arrière, arrière, arrière grands-parents !
Et pourtant de nombreuses structures, des habitudes et des usages de la vie de notre canton trouvent leur origine en ce temps.
Cependant notre pays de Vaud (le pays des forêts) - je n'emploie sciemment pas le terme de canton - a une bien plus longue histoire.

1ère période

Il y a

 Perspective chronologique

10'000 ans

Les mammouths paissaient à l'embouchure du Boiron

4'500 ans

Les lacustres construisent leur village au bord des lacs, dont celui érigé à l'est de Morges, à la hauteur du stand de tir morgien.

2'000 ans

Les Romains colonisent le pays. Ils construisent de nombreuses villes et parsèment la campagne de villas, peut-être ici-même dans le champ de Condémine et établissent un réseau routier de qualité.
La route de l'Etraz (via Strata) relie Noviodunum (Nyon) à Eburodunum (Yverdon) en passant par Bussy.

1'000 ans

C'est le temps des seigneurs et des châteaux, des comtes et ducs de Savoie.

En 1005

Première mention écrite de l'existence de Denens (Disnens); le chapitre de Genève y possède des vignes.

712 ans

Les montagnards d'Uri, Schwytz et Unterwald posent les fondements de la Confédération.

467 ans

Les Bernois occupent le Pays de Vaud et apportent la Réforme.
Le château et l'église de Denens sont déjà construits.

205 ans

Le Pays de Vaud se libère du joug bernois le 24 janvier 1798.

200 ans

Naissance du Canton de Vaud.

En 1807

Construction de la fontaine de la Jalousie, autrefois au centre du village.

105 ans

On construit la ligne de chemin de fer du BAM.

63 ans

La première route goudronnée atteint notre village. (route nouvelle de Lully-Denens).

1802-1803 : le Vaudois trait sa vache mais vit-il paisiblement ?

Le pays de Vaud vit au rythme séculaire des activités agricoles, viticoles et artisanales. 

L'agriculture pratique largement l'assolement triennal: une année blé d'automne, une année céréale de printemps, une année la jachère avec le droit de libre parcours pour le bétail. 

La rotation collective des cultures est obligatoire sur les sols ou pies d'où la dénomination de nos champs de la Piaz ou Péaz . Peu à peu se généralise la culture de la pomme de terre (estce une céréale ? doit-elle être soumise à la dîme ? c'est l'origine d'une grave controverse à Mézière en 1790, avec emprisonnement du pasteur, qui fournira à René Morax le sujet d'une pièce créée en 1903 et qui marque le début de l'aventure du Théatre du Jorat) et des plantes fourragères (luzerne, trèfle, esparcette) qui améliorent grandement les possibilités d'élevage du bétail. 

Bien évidemment pas d'électricité, de réseau d'eau potable, pas de moteur. Seule la force de l'homme (femmes et enfants compris) et des animaux pour travailler la terre et la force hydraulique pour actionner les nombreux moulins, scieries, tanneries indispensables à la transformation des matières premières (cf. les moulins de Morges, de Vaux, ceux de Lussy, Villars, Yens sur le Boiron). 

Le Pays est surtout un pays agricole. Il compte 144'518 habitants. Les villes sont petites. Lausanne 9'965 habitants; Morges 2'059 habitants; Denens 175 habitants au recensement de 1803. L'espérance de vie est de 40 ans; un enfant sur quatre ou cinq n'atteint pas sa première année. Les jeunes représentent le 1/3 de la population, les vieux le 5%. 

Les campagnes vivent en auto-approvisionnement presque complet. On achète aux foires (une fois par mois à Morges) ce que l'on ne produit pas. 

Des routes et chemins de terre au mieux recouverts de gravier assurent les communications avec la navigation lacustre à voiles. Le citoyen Muret de Morges, élu au Petit Conseil (Conseil d'Etat) doit déménager à Lausanne pour pouvoir exercer sa fonction car il faut une heure et demi à deux heures pour relier son domicile au Château en voiture à chevaux. Et pourtant, les idées nouvelles circulent rapidement ; sous les crânes de nos vieux, les esprits bouillonnent !

La république Helvétique

" Engendrée dans l'orage, elle vit dans la tempête ! " 

Les Français ont fait leur Révolution, ils ont guillotiné leur roi et ils proclament que tous les hommes sont égaux et qu'il n'y a plus ni maître, ni sujet. 

Les Vaudois de 1798 ont bien compris la leçon et le 24 janvier, ils ont renvoyé leurs baillis bernois avec douceur ! 

Hélas, la situation du Pays tout entier ne s'est pas améliorée, au contraire: les cinq années qui nous séparent de 1803 sont peut-être les plus sombres de l'histoire de la Suisse. 

En effet, peu après la Révolution Vaudoise, les troupes françaises sont entrées en Helvétie et enchaînent les batailles contre les troupes de l'ancienne Confédération des XIII cantons qui s'effondre complètement. Les Français saignent le Pays (par exemple Vaud doit fournir 4'000 hommes et 700'000 livres d'emprunt obligatoire). Ils imposent à tout le pays une organisation similaire à la France, une République Helvétique une et indivisible très centralisée et qui ne laisse aucun pouvoir aux 18 cantons. Pour nous, c'est le canton du Léman et l'apparition du découpage en districts. 

Mais cette organisation ne convient absolument pas à notre pays, si divers par ses cultures, langues et religions différentes. 

Nidwald se révolte, la répression est sanglante : 3 à 4'000 Français tués, 292 hommes, 118 femmes et 25 enfants chez les révoltés, Stans pratiquement détruite et lon voit Pestalozzi s'activer pour secourir les pauvres et les orphelins. 

Des troupes autrichiennes et russes envahissent le pays pour combattre les Français. De plus, les Suisses se déchirent entre eux. Les coups d'état se suivent. Les partisans de l'Ancien Régime, les Fédéralistes, regrettent leurs privilèges, Berne voudrait retrouver ses anciens bailliages, les Unitaires craignent le retour des anciens droits fédéraux et l'indépendance de leur terre. 

Nostalgiques du bon vieux temps et patriotes exaltés s'affrontent vigoureusement. Chez nous les plus virulents réclament la création d'une république vaudoise indépendante et les réactionnaires, craignant de ne plus être suisses, exigent par une pétition largement soutenue (11'476 signatures) le retour au régime bernois, paré de toutes les vertus.

La misère s'installe dans le pays. A Morges, la moitié des habitants ne peut être assujetti à l'impôt, faute de ressources ; il faut organiser des soupes populaires pour les plus démunis. En 1804, Vaud compte 12,5% de pauvres, 7% de chômeurs sur 150'000 habitants.

Les Bourla-Papey ( les Brûle-papiers )

Le patois est encore fort pratiqué en ce temps : " Paix aux hommes, guerre aux papiers ! ". 

Les campagnes ne sont pas plus paisibles que les villes. A la Révolution, on avait promis au paysans l'abolition des droits féodaux. Pendant deux ans, ces redevances ne sont pas perçues. 

En manque d'argent, le gouvernement central les rétablit la troisième année et exige les arriérés. Les paysans refusent de payer, des biens sont saisis. Dès le printemps 1802, après Bâle en 1800, c?est Vaud qui s'enflamme. Emmenés par Louis Reymond et ses acolytes, les Cuche et Bové de l'époque, les paysans vaudois se constituent en troupes menaçantes: 3'000 hommes au Signal d'Echichens ! On attaque les châteaux de La Sarraz, de Bière, Mollens, Pampigny, Saint-Saphorin, Vufflens et Denens. On exige les papiers, les terriers qui permettent de percevoir les impôts féodaux et on les brûle pour empêcher leur perception. 

Armés de fourches et de baïonnettes, on monte à l'assaut du château de Morges et après de longs palabres on rentre au camp de Tolochenaz avec des papiers, des prisonniers, quatre canons et deux caissons. 

En mai, 1'500 hommes marchent sur Lausanne. Le gouvernement central se fâche. On condamne à mort les chefs de l'insurrection ; ils échapperont à leur châtiment en fuyant à l'étranger. Grâce à Monod, ils seront amnistiés en juillet afin de ramener la paix dans les campagnes. 

En juillet, les troupes françaises se retirent et la guerre civile éclate.
La Suisse connaît alors une situation semblable à celle subie par l'Ex-Yougoslavie.

L'acte de médiation

Pourquoi notre ancêtre a peut-être participé aux campagnes napoléoniennes et laissé sa vie à la Bérésina, lors de la retraite de Russie ! (cf. exposition au château de Morges " Les Vaudois de Napoléon " ; la Suisse devrait fournir 16'000 hommes à l'Empereur). 

Très inquiets pour l'avenir de la Suisse, pour l'avenir de leur canton, des patriotes -les pères de la patrie, comme on les nommera plus tard- beaucoup d'hommes de notre région dont on lit aujourd'hui le nom sur les plaques des rues : les Monod, Secrétan, Muret, Pidou, J-J. Cart, etc. lancent un appel désespéré au Premier Consul Bonaparte et sollicitent son arbitrage, sa médiation. Les troupes françaises reviennent. 

"Habitants de l'Helvétie, vous offrez depuis deux ans un spectacle affligeant. Vous vous êtes disputés depuis trois ans sans vous entendre. Si l'on vous abandonne plus longtemps à vousmêmes, vous vous tuerez trois ans sans vous entendre davantage. ". 

Celui qui avait proclamé que le soleil retournera du couchant au levant plutôt que Vaud retourne sous la domination de Berne, accepte le mandat et prépare avec une commission de délégués helvétiques une nouvelle constitution pour la Suisse et ses dix-neuf cantons. 

Le 19 février 1803, il réunit une grande séance solennelle aux Tuileries à Paris et remet aux délégués de l'Ancienne Confédération l'Acte de Médiation qui réorganise tout le pays. (cf. Visite à Paris ce printemps d'une délégation suisse emmenée par Pascal Couchepin, président de la Confédération). 

C'est un net retour en arrière, avec une alliance de 19 cantons souverains ne laissant à la Diète fédérale que les seules questions militaires et diplomatiques mais, c'était important pour nous Vaudois, l'indépendance des anciens cantons sujets est pleinement reconnue.

Naissance du canton

L'Acte de Médiation contenant la constitution du nouveau canton, les affaires ne traînent pas. 

Le 10 mars, la souveraineté du canton de Vaud est proclamée. 

"Désormais, le canton de Vaud formera un Etat appelé à se régir lui-même sous les auspices d'une Diète helvétique protectrice de l'indépendance générale. Le peuple vaudois entrera avec joie dans les sentiers de la justice et de l'honneur, pour ne s'en écarter jamais. " 

Les communes sont réparties entre 60 cercles (Denens, cercle de Villars /Yens ) et le 28 mars les électeurs sont convoqués au chef lieu du cercle pour procéder à l'élection des 180 membres du premier Grand Conseil. Je dis bien les électeurs et non tous les citoyens car pour être électeur, il faut remplir certaines conditions de domicile, d'origine, d'âge (célibataires 30 ans) et surtout être propriétaire ou justifier d'une certaine fortune.

14 avril 1803

Le 14 avril1803, le premier Grand Conseil vaudois se réunissait pour la première fois à l'Hôtel de Ville de Lausanne alors que vingt-cinq coups de canon étaient tirés sur la place de Montbenon. 

Les députés se mirent immédiatement à la tâche. Le travail était immense : tout était à organiser dans tous les domaines et le Grand Conseil et le Petit Conseil (Conseil d'Etat) font preuve d'un zèle remarquable. 

D'abord remercier le premier Consul, la générosité française était garante de l'Acte de Médiation; choisir un sceau et un drapeau, organiser la première administration, les impôts, la justice, la gendarmerie, les prisons, l'armée (les milices vaudoises), les écoles, les routes, la poste, les poids et mesures, battre monnaie (1804, premières pièces vaudoises : rappe, ½ batz, batz, 5 batz, 10 batz ou franc pesant 7,47 grammes d'argent), déterminer les pouvoirs des Municipalités, des Juges de Paix (rôle des Préfets actuels), des attributions du Petit Conseil, faire construire une salle pour les délibérations? (salle Perregaux incendiée l'an passé !)

Célébrations

Dès les premières années, le peuple vaudois célèbre sa fête du 14 avril, avec un caractère simple, mâle et national. On sonnait les cloches, tirait du canon, organisait des services divers et dans chaque chef-lieu de cercle se déroulait un tir à la cible. 

Ces manifestations suscitèrent la création de chants patriotiques, l'Hymne vaudois du Colonel Rochat, Po la Fêta dâo quatorze. 

A Denens, pour marquer le centenaire de l'indépendance en 1898, la Municipalité dans sa séance du 21 janvier décide d'affecter une somme de 50 francs à répartir comme suit: une collation offerte aux enfants ainsi qu'aux dames de la localité consistant en thé et petits pains, une commande de 200 de ces derniers est faite à Victor Jacot, boulanger. 

Il est décidé de planter un arbre commémoratif (tilleul) qui a été commandé à M. Francillon lequel le fournira pour un prix de 4 francs rendu en gare de Morges (sera planté près du château). 

Il est décidé que le vin fourni par la commune sera bu à 2 ½ heures de l'après-midi; le secrétaire mettra un avis à cet effet (Extrait du livre de procès-verbaux de la Municipalité de Denens : Syndic Alfred de Buren, secrétaire Philippe Cotty) 

En 1903, le canton organise un grand spectacle, le "Festival Vaudois", texte et musique de Jacques Dalcroze créé sur la place de Beaulieu à Lausanne. Il nous en reste la "Prière Patriotique" bien connue. Mais sollicité par le Préfet pour un subside à ces manifestations du centenaire, la Municipalité se dérobe, en disant que les ressources de la commune ne sont pas suffisantes pour accorder le subside demandé. (séance du 17 janvier 1903). Le Canton leva d'ailleurs un impôt spécial de 1 à 2 francs par habitant pour couvrir les frais de la commémoration du centenaire mais oublia pendant un demi-siècle de l'abroger ! 

Les autorités d'aujourd'hui sont averties que nous veillerons à ce que cela ne se renouvelle pas si elles avaient besoin de lever un impôt semblable. 

Pourtant Denens fêta aussi le centenaire, la Municipalité discuta avec le comité d'organisation du programme prévu. Hélas, on n'en sait pas plus. (séance du 25 mars). 

C'est donc une façon de renouer avec la tradition de 1898 où fut planté le tilleul près du château, au bord de l'ancienne route Lully-Denens, que la Municipalité de 2003 a décidé de planter un nouveau tilleul qui rappellera aux générations futures la célébration en 2003 du bicentenaire de la naissance du canton de Vaud.

Entre 1893 et 1915

1896

Ouverture d'un poste communal de téléphone


1899

- Restauration de l'église de Denens
- Introduction du plant américain dans les vignes du château (lutte contre le phylloxéra).


1900

Recherche d'eau à Yens


1901

On pave autour de la fontaine du bas du village


1902

La société de fromagerie achète du terrain communal (ancien cimetière) pour permettre l'agrandissement de son bâtiment.


1903

- Réouverture de l'école enfantine : Aline Muller nommée maîtresse.
- Refus de subsidier la fête du Centenaire vaudois.
- Arrivée d'un moteur à pétrole au château.
- Achat d'une nouvelle pompe à incendie.


1904

- L'ancien falot à pétrole est remplacé par des lampes électriques s'allumant toutes en même temps.
- Installation de l'éclairage électrique à l'école, à la chambre de la Municipalité et à l'appartement du régent.
- Construction d'une fontaine au lieu-dit " la Jalousie ".


1905

Demande de locaux communaux pour des séances de lecture, des réunions de couture et des conférences de tempérance.


1906

- Plan d'alignement à travers le village et canalisation du Flon.
- Le budget communal prévoit un déficit de 79 francs avec 7160 francs aux recettes et 7230 francs aux dépenses.


1908

- Demande d'ouverture d'un nouveau café " Bellevue ".
- On change les cadrans de l'église.
- On achète une planche noire pour l'école.


1909

- On achète un bassin de fontaine en granit 1900 litres / 235 francs.
- On corrige la route Denens - Villars et on souhaite l'amélioration des routes de Bussy et Vufflens.
- La commune, en cas de mobilisation, doit fournir 26 chevaux et 2 chars à pont avec cadre.


1910

- Impression du règlement de police.
- Tractation avec Yens pour achat d'eau.
- Achat de terrain pour agrandir le cimetière.
- Achat de deux hémisphères et livres d'images pour les écoles.
- Amenée de l'eau de Yens et distribution à domicile.


1911

On achète 24 tables d'école à 2 places et on change aussi les fenêtres.


1913

- Touché un subside de l'Etat pour les hydrants.
- La commune doit payer 17 ½ millième soit 142 francs pour la correction de la route Lausanne-Genève.
- Construction d'un hangar-bûcher pour le boulanger Manigley au carrefour Denens-Villars-Bussy.


1914

- Plantation de cent sapins au cimetière.
- Le balayage des classes par les enfants est obligatoire !
- On désigne deux municipaux remplaçants à cause de la mobilisation.
- Le boulanger n'est autorisé à vendre bougies, pétrole et tout autre carburant que par très petites quantités jusqu?à nouvel avis.
- Demande de secours par suite de mobilisation.


1915

- 150 hommes, 5 officiers et 10 chevaux sont cantonnés à Denens.
- Achat d'une nappe de communion.
- Acheté 600 tuiles à Villars-sous-Yens pour réparation des toits communaux.
- Achat de tables pour l'école de couture.
- Etablissement du tableau des contribuables présumés à l'impôt de guerre.
- Réparation urgente à l'acqueduc Lully-Denens.


 


( Extrait des procès-verbaux de la Municipalité de Denens 1893-1915  Syndic Alfred de Buren )

Avec nos remerciements à Monsieur Roger Huguenet.

Conclusions

Au moment même où une nouvelle constitution devrait nous permettre de répondre aux nombreux défis qui attendent notre canton au XXIème siècle, je terminerai par cette strophe du chant patois cité plus haut, mais en français : 

Dans d'autres pays la guerre - A ruiné le paysan - Dieu soit béni, notre terre - Nous rapporte tous les ans (bonnes récoltes en 1803) - Dites donc ce refrain - Celui qui aime sa patrie - Sera toujours content. " 

Sources principales : 

Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud 1973, 
Vaud sous l'Acte de Médiation 2002 BHV. 

Le 11 avril 2003 
Roger Huguenet